Eh ben voilà, c’est aujourd’hui.
Aujourd’hui, à 23.50, officiellement, mon bébé a 18 mois.
Aujourd’hui, à 23:50… je n’ai plus de bébé.
Bon, on ne s’emmêlera pas dans les termes. J’y vais avec les catégories d’âge de mon installation. À 18 mois, exit le poupon de la pouponnière, on le classe maintenant avec les “plus de 18 mois”. Autrement dit, les “pu bébés”. Ça fait que, j’ai pu de bébé.
Ça me déchire le coeur en miettes, si vous saviez. Pareil comme quand mon “pu bébé” s’empare de n’importe quelle structure de papier et la morcelle en micro particules. J’ai le coeur qui se déchiquette.
Je ne suis pas naïve. Depuis le jour de sa naissance, je sais que je fais le deuil d’un bébé, qu’à un moment donné, ses rondeurs douces et candides vont céder la place à une ébauche de musculature, que ses épaules prendront la forme triangulaire propre aux petits garçons, et que mes câlins seront accueillis par des “non!” bien sentis. Mais quand même… mais quand même.
Bon, je sais. Après quatre mioches en six ans, je dois ben en avoir ma claque des couches à laver, des fientes à torcher, de la coulisse de bave et de la trace de nez sur mon linge. Je dois ben avoir hâte d’être assise tranquille au resto sans avoir à contempler la structure abstraite de nourriture éparpillée sur le sol (les restos devraient avoir des chiens, les serveuses seraient heureuses). Faire mes nuits, enfin. Enfin… enfin.
Oui, tout ça, et plus encore! J’inventerai, un jour, une danse moderne pour expliquer l’extase d’avoir des enfants qui sont tous propres! Mon propre Broadway de victoire d’être enfin sortie des miasmes de la petite enfance qui aliènent les nouveaux parents de ce monde. Après “Cats”, voici “Potty-trained”, “No more teething”, “Plants can live” et “Asleep in 10 minutes”… Fanfares, gloriole, nirvana….
Mais…
Mais ça me fend l’âme en deux de dire adieu à un monde de beauté puérile. À la candeur immense d’une bette de bébé, ronde comme une pêche, qui te sourit de ses deux chiclets et qui te regarde comme jamais un amant ne t’a regardée. À l’instant suspendu où ton enfant dort (enfin!) et que tu te perds dans les limbes de la contemplation… les cils qui reposent sur les pommettes rebondies, les mains repliées en signe de bien-être, et le soupir -Ah! le soupir!- de ton kid qui s’abandonne, complètement, totalement, aux bras de Morphée. T’as tant de choses à faire pendant que ton bébé pieute, mais non… Tu le regardes encore et encore… Y’é beau, pis c’est toi qui l’a fait, cette chose magnifique. La plus belle chose que t’aura jamais fait.
Finies aussi, les séances de poser tes lèvres sur la douceur exquise d’une tête de nouveau-né. Le faire à un autre bébé, c’est pas pareil, même si les bébés sentent tous le biscuit vanillé, le tien sent toujours meilleur. Finies, les puffs de bébé pour prendre ton pied. Finie, la petite bine en position foetale qui te cimente sur ton sofa comme un sabot de Denver. Fini, trouver ton chum, ton partenaire, tes parents, infiniment cutes à catiner ta merveille.
De ça, de ces moments dont je me rappelle à peine, parce que vécus dans une brume de fatigue… je vais tellement m’en ennuyer.
Certaines choses de la grossesse vont aussi me manquer. Pas les nausées, non, non. Mais le bonheur de sentir mon bébé à l’intérieur de moi. De me sentir spéciale de porter une vie. De rêver mon bébé, d’avoir les mains de mon chum qui caressent et protègent notre mini-nous. D’accoucher et de voir enfin le locataire de mon utérus. De ses petites manies de bébé, bien à lui ou elle, qui n’est pas comme les autres, qui est juste elle, ou lui. Qu’il n’y en a pas deux, comme ce bébé-là.
On est malades, un peu, mon chum pis moi. On a succédé les bébés à un rythme débile, en urgence. On y a laissé pas mal de plumes. J’ai gagné pas mal de cheveux blancs. Pis de douleurs articulaires. Pis comme un Père Noël de centre d’achat, j’ai l’air d’avoir un oreiller de caché sous mon chandail. Notre maison a l’air de Tchernobyl. On a une horreur de minivan depuis quatre ans. Notre laveuse et notre lave-vaisselle ont des conditions de vie d’esclave.
Quatre enfants, deux gars, deux filles, c’est juste parfait pour nous. On est bien. C’est cool.
… Sauf que
Je ne peux pas me résoudre à dire que j’ai véritablement pu le goût d’avoir des enfants. Même si, à une prochaine grossesse, je cracherais du feu tellement que je fais du reflux. Même si mon corps me supplie d’un arrêt des changements. Même si je goûte, enfin, à ce qu’est l’indépendance de la mère qui sort faire des vraies affaires avec du vrai monde et qu’elle n’a plus à rentrer à boob o’clock. Même si y faudrait que je change de minivan. Même si mon chum est quasi rendu à la mi-quarantaine. Mais rassurez-vous, mon cerveau risque de gagner la guerre contre mes ovaires. J’pense.
Ça fait que ce soir, j’enterre ma vie de maman de p’tit bébé. Juste écrire ça, j’en ai mal aux tréfonds de mon coeur. Je vais regarder mon petit bambin grandir plus vite que ma tête ne l’accepte, laissant derrière lui une trace indélébile de souvenirs. Je vais le regarder me tenir tête en sacrant intérieurement, je vais lui en vouloir à chaque “Capab’ tout seul”… mais quand, enfin, il va s’endormir le soir, je vais encore le regarder, dans un moment suspendu où la terre ne tourne plus, et me dire qu’il est beau. Pis que j’en reviens pas que c’est moi qui l’a fait. Parce que, quand ils dorment, même s’ils sont grands, on voit encore le bébé en eux. Pis on les rhabrille. Pis on leur dit un mot doux. Pis on pousse un soupir…
Grandit pas trop vite, mon “pu bébé”.
Marie-Ève Sturrock
Sylvie Fiset dit
Beau message .Très touchant. Tu as le droit à plus d’enfants ,si tu le désir. Je me reconnais en toi. Merci ! ( une maman de 8 enfants avec un bébé de 11 mois)
Marie-Eve Sturrock dit
Aaah, si j’en désire… Je ne sais pas trop. Je me sens riche, déjà… Le temps le dira, j’imagine 🙂
Brenda Dongo dit
Ahhhhh
Je te comprends…
Je me fait ligaturer dans deux semaines et j'en pleure.
J'en ai trois et c'est pas assez.
Mon coeur a perdu, mon cerveau a gagné. ..
Marie-Eve Sturrock dit
Oh, girlfriend…
Tu coupes les ponts avec la fontaine de awesome, toi aussi…
On ira mater des gars chauds en vantant notre stérilité, k?
Julie Marchand dit
C'est ce que je trouve le plus difficile depuis que j'ai accouché de mon dernier… Le temps file trop vite et mon petit bébé grandit trop vite. À Chaque rire qui font fondre mon coeur, à chaque soupir de ce petit trésor endormi contre moi mon coeur crie :"non ça ne peut pas finir!" Pas le choix, mon mari n'en veut plus :'/
Marie-Eve Sturrock dit
Une femme sage m’a dit que plus souvent qu’autrement, les hommes étaient ceux qui fermaient la famille. Ils voient la vie avec moins d’émotions que les femmes… Au moins, on n’est pas toutes seules 🙂
Amélie dit
superbe texte! Je regarde mon 2ème, collé contre mon sein qui ronfle comme un camionneur et je me dis que ça peut pas être le dernier…pis je repense à l’intensité de mon accouchement et je me dis que c’est trop tôt pour décider!!
Genevieve Gilbert dit
Apres quatre petit amour je pense la meme chose. Je regarde mon petit dernier de 14 mois et il grandit si vite. Une page de notre vie qui se tourne….. Dure pour le petit coceur de maman
Marie-Eve Boudreault dit
Ahh pas facile…
Mais maintenant je ne fais plus de choix décisif, je fais confiance à la vie et suis les pistes. À moins de difficultés exceptionnelles, on se garde le choix d’avoir plus d’enfants et on laisse la conception ouverte. On peut jamais dire jamais y paraîtrait… À chacun de trouver où on est bien là-dedans 🙂
Nathalie Adam dit
Comme c'est beau ! J'en ai juste une petite cocotte, qui n'est même plus une "pu bébé" mais déjà une petite fille en train de devenir une grande fille qui ira bientôt à l'école… mais je me retrouve vraiment dans tous ces sentiments de maman et ces petits moments de grand bonheur <3
Claude Gagnon dit
Wow, bravo! Vraiment un bel article qui me touche.
Pour ma part, j’ai fait une superbe collection de photos de bébés que tu aimeras surement… C’est à voir https://www.facebook.com/stupide.org/posts/1707569349525601