Dès le début de ma grossesse, mon conjoint et moi avions opté pour l’allaitement pour ses bienfaits sur notre trésor. Nous nous étions renseignés sur le sujet et trouvions que des points positifs à vivre cette belle expérience de vie.
À l’hôpital, tout laissait présager un bon départ de lactation : bonne prise au sein, son de déglutition, positionnement adéquat, etc. Je sentais un lien magique se tisser entre ma fille et moi.
Or, lors de la première visite à domicile de l’infirmière du CLSC, un son de cloche a retenti à nos oreilles : notre puce était loin d’avoir repris son poids de naissance. L’infirmière s’est donc inquiétée de sa condition physique. Elle a planifié avec nous un second rendez-vous pour effectuer un suivi sur sa prise de masse.
Entre temps, je pleurais et me questionnais beaucoup. Pour empirer davantage la situation, mes problèmes d’épaules ont ressurgi. Je souffre en fait de tensions myofaciales sévères, qui sont un genre de crampe musculaire intense qui persiste de nombreux jours et qui font hypothéquer mes bras complètement. La douleur, physique et morale, me pesait lourd. Lorsque je prenais mon bébé, un élancement lancinant rayonnait dans mon bras gauche. À chaque fois que ma petite pleurait pour prendre le sein, et ce, plus de 12 fois par jour, j’avais mal au cœur. Je ne voulais surtout pas aggraver ma condition physique. Je souhaitais de toute mon âme être en mesure de m’occuper d’elle et de la prendre dans mes bras qui risquaient d’être hypothéqués. Mon conjoint et moi avons pris la décision d’utiliser le tire-lait électrique double pour me procurer un certain répit afin de récupérer. Surprise : je ne tirais qu’une minuscule demi-once!
Nous comprenions enfin la raison pour laquelle Lili était constamment assoiffée! Maintenant que nous savions qu’elle ne buvait pas à sa soif, compte tenu de ma faible production lactée, il fallait agir. Nous ne connaissions pas les rouages liés à l’utilisation de biberons. Nous avons saisi le guide du Mieux Vivre et nous avons débuté la lecture de cettedite section pour nous informer.
« Les spécialistes de la santé des nourrissons ont observé que le groupe d’enfants qui n’ont pas été nourris au lait maternel a plus de risque d’avoir des problèmes de diarrhée et d’infections respiratoires, dont les otites, bronchiolites et pneumonies. Ceci pourrait contribuer à augmenter le risque d’hospitalisation des nourrissons. Plus tardivement, ils seraient aussi plus susceptibles de développer de l’obésité, du diabète, des maladies gastro-intestinales, telles que la maladie de Crohn, ou une colite ulcéreuse et certains cancers dont la leucémie »
À la fin de cette lecture, nous étions démolis, anéantis et de mon côté, je ressentais une culpabilité monstre. J’avais l’impression de ne pas jouer mon rôle de mère adéquatement et par-dessus tout, de donner du poison à mon enfant en lui offrant une préparation. Par chance, des amis sont venus à la maison nous remonter le moral. Sans eux, nous aurions passé cette soirée à pleurer et à nous trouver incompétents.
Pour nous sortir de cette impasse, nous sommes allés consulter des intervenantes au centre de ressources périnatales les Relevailles de Montréal. À leur tour, elles nous ont conseillé de rencontrer une consultante diplômée en lactation, ce que nous avons fait dès le lendemain.
D’un seul coup d’œil, la consultante a été en mesure de poser un verdict : hypoplasie, ce qui est en fait un sous-développement des glandes mammaires. Dans mon cas, je possédais trois des quatre signes visibles liés à cette condition (nombre insuffisant de glandes mammaires, forme pointue des mamelons et du galbe de la poitrine et espace de plus de trois doigts entre les deux seins). Moi qui croyais qu’une femme ne manquait jamais de lait et qu’elle en produisait toujours suffisamment pour les besoins de son bébé. Du moins, c’est ce que les livres stipulaient. Ça a été un dur coup sur l’estime; je ne me sentais pas apte à nourrir et à m’occuper de ma fille. Ma culpabilité monstre allait jusqu’à extrapoler les pires idées de ma tête. Je me disais en mon for intérieur que si j’avais vécu au Moyen-Âge, ma fille n’aurait probablement pas survécu par ma faute à moins d’avoir utilisé du lait de chèvre ou un autre stratagème bidon.
Le lendemain, je suis allée consulter un médecin et j’ai reçu une prescription de Dompéridone. Annexé à du fenugrec et à du chardon-bénit, ce médicament a pour effet secondaire d’augmenter la production de lait. Résultat : plus de 30 pilules à consommer par jour, des levers nocturnes pour exprimer mon lait et ce, que pour obtenir entre le tiers et la moitié du lait nécessaire pour ma fille. Je considérais ce précieux liquide comme si c’était de l’or blanc tant il valait cher à mes yeux.
Un ange gardien est enfin venu éclairer notre lanterne.
Une de mes meilleures amies, qui a accouché deux mois avant moi, possédait une vraie caverne d’Ali Baba, en l’occurrence un congélateur rempli de lait maternel. Elle est allée passer des tests médicaux pour s’assurer qu’elle n’avait aucune maladie transmissible par le lait (infections transmissibles sexuellement, etc.). Par chance, elle a reçu le feu vert pour le donner à ma fille. Par précaution, lorsqu’elle avait un rhume, avait mangé du poisson et des fruits de mer (j’en suis allergique et potentiellement ma fille) ou se sentait moins en forme qu’à l’accoutumée, elle marquait d’un X ses sacs de congélation afin de ne pas me les refiler et ainsi contaminer ma fille. Le lourd poids qui pesait sur nos épaules s’est écroulé sur-le-champ. Nous étions soulagés de pouvoir offrir ce qu’il y a de mieux pour Lili. J’ai enfin accepté ma condition et j’ai persévéré dans mes démarches d’allaitement. Notre fille a vite repris sa courbe de croissance et par-dessus tout, elle pouvait compter sur une seconde nourrice et un petit frère de lait! Je ne pourrai jamais autant remercier l’âme salvatrice de ma copine. En fin de compte, l’élément le plus primordial était que ma fille recevait toujours du lait maternel et non de la préparation pour nourrissons.
J’ai parlé à nos proches de notre décision de supplémenter notre fille avec du lait d’une autre personne. J’ai été surprise de voir à quel point notre choix a été bien accueilli par notre entourage. D’ailleurs, mon père m’a appris que sa grand-mère maternelle a jadis été nourrice au début du 20e siècle. Elle a travaillé de la sorte de nombreuses années. Ce métier, un des plus vieux de la Terre, a sauvé bon nombre de bambins et devrait être réinstauré via les banques de lait.
J’ai allaité, malgré ma très faible production, tout près de cinq mois. Je ressentais une énorme fierté d’avoir accompli ce geste merveilleux pour ma fille. Je savais que j’avais fait de mon mieux pour qu’elle reçoive ce qu’il y a de meilleur.
En somme, mieux vaut un biberon heureux qu’un sein malheureux! Malgré tout, elle recevait toujours du lait maternel.
Suite à cette expérience ma foi fort différente de ce à quoi je m’attendais, ma vision magique de l’allaitement (placer bébé au sein et ce dernier boit comme un charme instantanément) a été transformée. J’entrepris certaines démarches et études et je devins accompagnante à la naissance et marraine d’allaitement de surcroît. Je souhaite dorénavant guider et apaiser les mères qui se sentent souvent dépassées par les événements et qui ne connaissent que trop rarement la problématique de l’hypoplasie si peu documentée.
Lorsque j’accoucherai de ma petite Fanny, je serai prête à recommencer ce long processus, mais ô combien gratifiant. Cela représentera tout un sacrifice et un acharnement constant, mais non moins essentiel et bénéfique. Je suis également très ouverte face à l’idée de recevoir du lait d’autres mamans. Le fait de ne pas nourrir exclusivement ma fille avec mon seul lait n’a pas fait de moi une moins bonne mère. Au contraire, bébé a toujours bu ce qu’il y a de plus adapté et digeste. J’ai eu l’immense privilège de recevoir les surplus de lait maternel de ma bienfaitrice et j’ose espérer qu’un jour plus de femmes le pourront via une banque de lait officielle et légiférée. Peut-être que Fanny aura elle aussi un petit frère ou une petite sœur de lait…
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